Louis Vuitton Malletier /
Google
Civil Court of Paris (TGI)
February 4, 2005
FAITS ET PROCEDURE
La société
Louis Vuitton est titulaire des marques françaises "Louis Vuitton" n°1 627
892 déposée dans la totalité des classes, "LV" n°1 540 178 déposée pour
l’ensemble des classes 1 à 41, et de la marque communautaire n°1 515 212 "Vuitton"
déposée dans les classes 14, 18, 25 et 38.
Elle
commercialise sous ses marques divers produits de maroquinerie.
Elle eut
connaissance de la diversification des activités de la société Google Inc et
de sa filiale Google France, qui proposaient à des annonceurs des encarts
publicitaires pour des sites internet déterminés échappant, selon elle, à
toute logique de classification par degré de pertinence à laquelle pourtant
s’attend l’internaute lorsqu’il utilise le moteur de recherche "Google" pour
trouver le ou les sites qu’il désire.
Ces annonces
apparaissent en partie droite de l’écran, sous l’intitulé "lien commercial",
Les sociétés
Google proposent deux services :
l’un, dénommé "Publicité Prémium Sponsorship" selon lequel "chaque fois
que les mots clés ou l’expression achetés (à Google) figurent dans les
termes de la recherche d’un utilisateur Google, la partie supérieure de la
première page des résultats de recherche Google présente deux liens (maximum)
associés au texte de l’annonce" ;
l’autre, dénommé "Adwords", est destiné à placer ou "positionner" les
annonces en fonction d’une formule qui associe la somme que l’annonceur est
disposé à verser à Google pour chaque clic effectué par un internaute sur
son site, et le "taux de clic", c’est-à-dire le nombre de clics effectués
par les internautes sur l’annonce considérée.
Or, la société
Louis Vuitton Malletier - ci-après Louis Vuitton - a pu constater et faire
constater que, lors de l’utilisation du moteur de recherche Google (Google.com
ou Google.fr) la saisie des dénominations "Louis Vuitton" ou "LV" en tant
que critère de recherche permettait de faire apparaître en tête de liste des
résultats de la recherche, et en partie droite, sous l’appellation "liens
commerciaux" des annonces publicitaires pointant vers des sites proposant
pour certains à la vente, des produits dont il n’est pas contesté qu’ils
sont contrefaisants.
Le juge,
statuant en la forme des référés, saisi par la société Louis Vuitton d’une
demande d’interdiction des faits précités, a, par ordonnance du 27 février
2004, considéré que la demande d’interdiction était devenue sans objet, les
sociétés Google ayant mis en place, au niveau du serveur, un blocage pour
les utilisateurs disposant d’une adresse IP française.
Toutefois, la
société Louis Vuitton, a par constats des 3, 9 et 13 février 2004, fait
constater la persistance, selon elle, des faits aboutissant, à partir de
l’utilisation des mots clés tels que "Louis Vuitton", à la promotion de
produits tels que des babouches imitant sa marque, dite monograme.
Par acte des 6
et 20 août 2003, elle a fait assigner au fond les sociétés Google en
contrefaçon de ses marques, concurrence déloyale par usurpation de
dénomination sociale, atteinte à l’enseigne et au nom de domaine
www.vuitton.com et publicité déloyale.
Au terme de ses
écritures, elle sollicite outre les mesures d’interdiction et de publication
d’usage, la condamnation des défenderesses à lui verser les sommes de 150
000 € en réparation des actes de contrefaçon et de 150 000 € en réparation
des autres actes incriminés ; le tout avec exécution provisoire.
Les sociétés
Google opposent en substance que la société Louis Vuitton est irrecevable à
agir à l’encontre de faits commis à partir du site Google.com et de tous
autres sites étrangers dans la mesure où ceux-ci sont réservés à un public
étranger.
Au fond, la
contrefaçon alléguée n’est pas caractérisée selon elles car les mots clés,
indivisibles, sont des outils techniques, préalables au référencement des
sites et ne désignent pas un produit ou service et, en tous cas, les
sociétés Google ne sont ni les auteurs, ni les co-auteurs des faits de
reproduction, seuls les exploitants des sites litigieux étant responsables
du choix des mots clés, comme du contenu des liens commerciaux et du choix
des sites vers lesquels ils renvoient.
Elles ajoutent
qu’en raison de la souscription automatisée à ses programmes, Google ne peut
connaître a priori l’activité des sites qu’elle référence et qu’elle ne tire
pas profit de la commercialisation des marques prétendument contrefaites
mais tire uniquement profit des performances de son moteur de recherche.
A titre
subsidiaire, elles font valoir que les services exploités par leurs soins ne
recoupent pas ceux visés au dépôt des marques de la demanderesse et qu’au
surplus aucun risque de confusion ne peut advenir dans la mesure où, par
leur affichage différencié sur l’écran, les liens commerciaux ne peuvent
être à l’origine d’une méprise de l’internaute.
Quant aux actes
de concurrence déloyale ou de parasitisme qui leur sont reprochés, elles
font valoir qu’elles ne sont que des intermédiaires techniques de
référencement dont la responsabilité n’est pas engagée dès lors qu’elles ont
agi promptement pour désactiver l’accès aux informations litigieuses, une
fois saisies des réclamations de la société Louis Vuitton.
Par ailleurs,
les défenderesses contestent avoir commis quelque acte de concurrence
déloyale que ce soit et soutiennent qu’elles n’exercent pas une activité de
régie publicitaire car leurs prestations sont techniques et se limitent à
offrir des positionnements privilégiés, activés par des mots clés librement
choisis par les sites qui y souscrivent. Ainsi le service Adwords, à
l’inverse des services de support et de régie publicitaire, est mis en
oeuvre de façon entièrement automatisée qui n’implique aucun démarchage
préalable ni aucun conseil aux souscripteurs.
Subsidiairement, elles soutiennent que les éléments constitutifs d’une
publicité trompeuse ne sont pas réunis puisque Google n’a jamais allégué sur
son site que les liens commerciaux affichés par son moteur de recherche
correspondaient à des sites agréés par la société Louis Vuitton.
DISCUSSION
Sur la recevabilité des demandes concernant des faits commis
à partir du site Google .com et de tous autres sites étrangers.
Attendu que les
sociétés Google ne paraissent pas, au terme de leurs écritures, contester la
compétence de ce tribunal mais soutiennent qu’aucun acte de contrefaçon sur
le territoire français n’est susceptible d’être caractérisé à l’encontre de
société Google Inc ;
Attendu qu’il
est constant que les sites Google litigieux sont accessibles en France,
comme c’est le cas de Google Inc ;
Attendu que ce
que la société Louis Vuitton incrimine à l’encontre des défenderesses, ce ne
sont pas des actes de commercialisation des produits contrefaisants
perpétrés sur le réseau, mais une prestation publicitaire permettant à des
annonceurs de promouvoir sur différents sites Google, français et étrangers,
des sites marchands qui contrefont les marques et les produits Vuitton ;
Attendu, en
d’autres termes, que ce sont ces publicités sur les différents sites qui
sont ici incriminées ;
Attendu que
celles-ci sont visibles en France si bien que la société Louis Vuitton est
fondée à en soumettre l’appréciation de la licéité au tribunal de céans, peu
important à cet égard qu’elles soient rédigées en langue française ou
anglaise notamment, dès lors qu’elles sont diffusées en France ;
Attendu que les
sociétés société Google France et Google Inc sont regroupées ci-après sous
le terme "Google" ;
Sur les prestations proposées par Google
Attendu qu’il
convient tout d’abord de décrire les prestations proposées par Google aux
annonceurs, dans les termes figurant sur le site de Google France, et
retranscrits dans le constat de l’Agence pour la Protection des Programmes,
en date du 18 juin 2003, pages d’accueil : "Votre publicité avec Google
Principaux avantages de la publicité avec Google : format original - votre
publicité au format texte, clairement affichée en haut des pages de
résultats de recherche Google. Le ciblage à base de mots clés augmente la
pertinence de votre publicité. La clarté des publicités affichées sur les
pages de résultats Google dépourvues de tout artifice, peut générer des taux
de clics de 5 à 10 fois supérieurs du standard du marché".
Deux types de
prestations sont alors proposés, l’une dénommée "Publicité Prémium
Sponsorship" et l’autre "Adwords" ;
1) Publicité
Prémium Sponsorship
Votre message publicitaire apparaît en haut des pages de résultat de
recherche Google, lorsque des mots clés (ou expression) achetés figurent
dans les termes de recherche des utilisateurs Google :
" ... Le
programme de publicité Premium Sponsorship de Google vous permet d’acheter
un espace publicitaire de première importance sur les pages de résultats du
moteur de recherche Web le plus efficace... Par un mot clé acheté, vous
pouvez y associer plusieurs textes d’annonces. Vous augmentez ainsi les
occasions ciblées d’être vus grâce à des taux de clics élevés..." Grâce à sa
présentation dépourvue de tout artifice, la page des résultats Google permet
de faire ressortir votre annonce avec la plus grande visibilité possible...
Résultats incontestables, Google transforme facilement les utilisateurs en
clients...".
2) L’affichage
en partie droite de l’écran, sous l’intitulé "Liens commerciaux" d’adresses
de sites et courts messages promotionnels associés
"De nouveaux
clients en moins de 15 minutes ? C’est possible avec Adwords !
... Votre lien
commercial renvoie directement sur votre site web. Vous composez vous-même
votre annonce ; ... Choisissez les mots clés correspondant à votre activité ;
vos liens commerciaux ne s’affichent que dans les résultats de recherche
portant sur ces mêmes mots clés.
Prix : définissez le coût par clic (CPC) et le taux de clics (CTR)
déterminant le positionnement de votre lien commercial. Plus le taux de
clics est élevé, plus le prix demandé pour rester en première position
baisse. S’il est égal à celui de vos concurrents, vous ne paierez qu’un
centime d’euros de plus qu’eux pour rester en tête. Si leur taux de clic est
supérieur au vôtre, vous devez payer un peu plus cher pour conserver la
première place..."
Attendu qu’il
suit que l’offre faite par Google sous l’appellation "Publicité Prémium
Sponsorqhip" consiste à proposer aux annonceurs, moyennant la vente des mots
clés, une partie de l’écran dans laquelle s’affiche l’adresse de leur site
associée à un court message promotionnel de celui-ci : que cette partie
d’écran consacrée à la promotion du site est située au-dessus de premier
résultat de la recherche faite par l’internaute ;
Attendu qu’il
est constant que ce système a finalement été abandonné par Google ;
Attendu que,
pour ce qui concerne l’offre faite sous la dénomination "Adwords", elle
consiste pareillement à faire apparaître sur une autre partie de l’écran
l’adresse des sites associée à un court message promotionnel et à classer
ces sites, non pas selon un classement de pertinence, mais selon le coût que
l’annonceur est prêt à verser à Google et l’importance des sollicitations
dont le site est l’objet (taux de clics) ;
Attendu que
c’est ainsi que sont apparus parmi les "liens commerciaux" suggérés à
l’internaute et même en tête de ceux-ci, l’adresse du site de la
demanderesse, associée à la promotion de sites proposant à la vente des
produis susceptibles de porter atteinte aux droits de propriété
intellectuelle dont la société Louis Vuitton est investie ;
Sur la contrefaçon des marques
Attendu que la
société Louis Vuitton soutient que, dans le cadre de son activité
publicitaire, Google reproduit à de très nombreuses reprises ses marques et
en tire une rémunération conséquente avec pour résultat direct la promotion
de produits ouvertement contrefaisants ;
Attendu qu’elle
souligne que, dans le processus de création d’une annonce en ligne, Google
suggère à l’annonceur pour choisir les mots clés qui évoqueront le site et
ses produits, d’avoir recours à un "générateur de mots clés" ; que par
exemple si le mot "imitation" est inscrit dans le générateur de mots clés,
apparaissent à l’écran les termes "imitation Louis Vuitton" ; que, lorsque
le terme Vuitton est inscrit dans ce générateur, la réponse suivante
apparaît :
"Louis Vuitton
replicas Fake Louis Vuitton bags Replica Louis Vuitton handbags Imitation
Louis Vuitton Louis Vuitton copies..."
Que, si les
lettres "LV" sont inscrites dans le générateur, la réponse suivante apparaît
"LV inspired handbags" ;
Attendu, en
effet, qu’il ressort du procès verbal de constat dressé par Me S. les 24 et
26 juillet 2003 que lorsque l’annonceur sur le site de Google .fr aboutit
aux pages intitulées "Publicité avec Google", il se voit alors proposer de
créer le titre de son annonce, puis, après avoir créé celui-ci, d’utiliser
des mots clés que lui suggère s’il le désire le générateur de mots clés ;
qu’après avoir choisi les mots clés "LV", "Louis Vuitton" et "Vuitton",
l’huissier a pu voir apparaître les suggestions suivantes reproduites sur
l’écran par Google : "replica Louis Vuitton", "Louis Vuitton replicas",
"fake Louis Vuitton ", "Louis Vuitton replica handbags" ;
Que la
reproduction des signes Vuitton avait déjà été constatée le 27 juin 2003 par
un agent de l’Agence pour la Protection des Programmes qui avait relevé
l’apparition des termes "imitation Louis Vuitton", "LV inspired
handbags..." ;
Attendu que si
ces constatations valent pour le système "Adwords" il n’est pas contesté que
le système "Publicité Prémium Sponsorqhip" qui proposait à l’annonceur
d’acheter à Google des mots clés, procédait de même et était en mesure de
suggérer à celui-ci des mots clés associés aux différents signes de
Vuitton ;
Attendu qu’un
annonceur peut donc, grâce à Google, établir en ligne un message de
promotion de son site, construit à partir des dénominations que la
demanderesse a déposées à titre de marque, sans qu’aucun contrôle ne soit
opéré par Google sur les droits dont dispose un tel annonceur ;
Attendu surtout
que Google pourra lui suggérer de saisir des mots clés qu’elle lui proposera
d’associer à ces dénominations ; qu’ainsi Google fait apparaître sur son
écran les termes "Vuitton", "Louis Vuitton" ou "LV" en association avec les
termes copies, imitation, répliques.... ;
Attendu que
cette présentation est donc cette reprise des signes déposés à titre de
marque et est, à ce stade, le fait de Google ;
Attendu qu’elle
est faite, à l’adresse de l’annonceur, pour l’aider à attirer les
internautes sur son site sur lequel sont proposés des articles de
maroquinerie, produits visés au dépôt desdites marques ; que d’ailleurs
l’association des termes "copies, imitation..." à "Vuitton", proposée par
Google signe que les dénominations litigieuses ("Vuitton", "LV") sont bien
prises à titre de marques, puisqu’il s’agit de proposer des imitations ou
copies des produits originaux qui les portent ; qu’il en est a fortiori
ainsi des termes "Louis Vuitton replica handbags" suggérés à l’huissier par
le générateur de mots clés ;
Attendu que les
mots clés proposés par Google sont bien visibles pour l’annonceur mais, une
fois retenus par celui-ci, seront invisibles pour l’internaute ; qu’ils vont
déclencher l’apparition à l’écran (partie droite) sous l’intitulé "liens
commerciaux" des adresses de sites dénommés par exemple "Louis Vuitton
Murakami" au même niveau que l’adresse et la présentation du site de la
demanderesse ;
Attendu que
l’internaute ne pourra que se méprendre sur la nature des "liens
commerciaux" que peut avoir cette société avec les sites mentionnés en
regard de cette dernière ;
Attendu que
Google a dès lors commis des actes de contrefaçon par imitation des marques
de la demanderesse, au sens de l’article L 713-3 du code de la propriété
intellectuelle ;
Attendu, en
outre, que quand bien même c’est l’annonceur qui, in fine, choisira les mots
clés et les termes de son annonce, il apparaît que Google a joué un rôle
actif par la portée, le sens même, des mots qu’elle lui suggère pour mettre
en avant et donc faciliter la consultation de sites dont elle ne conteste
par ailleurs pas qu’ils contrefont les marques et les produits Vuitton ;
Attendu que
Google fait cependant valoir qu’elle ne tirerait pas profit de la
réservation des mots clés et qu’elle ne serait qu’un intermédiaire
technique, prestataire de stockage, au sens de la directive 2000/31/CE dans
la mesure où elle stocke les titres, mots clés et hyperliens fournis par les
utilisateurs du service de référencement "Adwords" ;
Attendu, sur le
premier moyen, qu’il a été décrit ci-avant que, dans le système Adwords,
bien que Google ne vende plus de mots clés, le subtil mode de rémunération
de sa prestation combine cependant la part que l’annonceur est prêt à lui
verser par clic, et la fréquence des clics au taux de clics ; que ces deux
critères détermineront le positionnement de l’annonceur qui est ainsi
fonction de la rémunération versée à Google ; que la fréquence des clics est
aussi fonction des mots clés choisis ;
Attendu que
Google a donc assis sa rémunération sur l’exploitation des mots clés
contrefaisant les marques considérées ;
Attendu, sur le
deuxième moyen, qu’il y a lieu de se référer au texte même du site de Google
qui fait bien le départ des prestations proposées entre une activité de
moteur de recherche qui n’est pas ici en cause, et une activité bien
distincte, commerciale, de prestataire de services publicitaires qu’elle
dénomme d’ailleurs elle-même activité publicitaire ;
Attendu que les
offres qu’elle formule dans le cadre de ces services, sortent à l’évidence
du champ des prestations offertes par les intermédiaires techniques,
fournisseurs d’accès, hébergeur de sites ou prestataires de stockage.
Sur les actes de concurrence déloyale
Attendu que la
reprise ci-dessus décrite du terme "Vuitton" élément essentiel de la
dénomination sociale "Louis Vuitton Malletier", constitue en outre un acte
de concurrence déloyale d’autant plus caractérisé que cette reprise a pour
résultat de faire apparaître en tête de la liste des "liens commerciaux" des
sites qui ont précisément pour activité de promouvoir des produits qui
imitent ceux commercialisés par la société Louis Vuitton (par exemple, liens
commerciaux "Louis Vuitton Murakami - Allhandbags.net ; ..." ; "our one stop
for top quality replicas Vuitton without paying the high prices" ;
Attendu
qu’outre l’atteinte à la dénomination sociale de la demanderesse, Google a,
ce faisant, également commis une atteinte à son nom de domaine
www.vuitton.com sous lequel la société Louis Vuitton exploite un site où
elle présente aux internautes nombre de ses produits ;
Sur l’application des articles L 115-33 et L 121-1 du code
de la consommation
Attendu que
l’article L 115-33 du code de la consommation précise que les titulaires de
marques peuvent s’opposer à ce que des textes publicitaires concernant
notamment leurs marques soient diffusés lorsque l’utilisation de ces marques
vise à tromper le consommateur ou qu’elle est faite de mauvaise foi ;
Que l’article L
121-1 du même code interdit "toute publicité comportant sous quelque forme
que ce soit des allégations, indications ou présentations fausses ou de
nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent sur la nature,
l’origine, la composition et les qualités substantielles.... des biens et
services qui font l’objet de la publicité..." ;
Attendu que
Louis Vuitton considère que le système dont Google tire profit par
l’intermédiaire de son système payant Adwords, aboutit à permettre
l’affichage sur une même ligne d’écran des sites présentant des produits
authentiques Louis Vuitton www.vuitton.com, et "des sites plus ou moins
contrefaisants" tels www.designerimpression.com, www.manhattantrends.com et
que les consommateurs risquant d’être trompés, Google s’est livrée à une
activité publicitaire qui tombe sous le coup de la prohibition de l’article
L 121-1 précité ;
Attendu que
Google oppose que l’expression "liens commerciaux" n’est pas employée à
titre publicitaire, qu’elle n’est pas trompeuse, que lesdits liens ne
constituent pas des textes publicitaires au sens de l’article L 115-33 du
code de la consommation dès lors qu’ils ne font référence à aucun produit en
particulier mais ont pour seul objectif le référencement des sites
commerciaux concernés, et qu’en tout état de cause, Google n’est pas
l’auteur ;
Attendu, ceci
étant rappelé, que sur son site, Google présente elle-même son offre de
service comme étant une offre de services publicitaires et ce, à plusieurs
reprises, dans des termes sans équivoque, tels que "la clarté des publicités
affichées sur les pages de résultats Google... votre publicité au format
texte clairement affichée en haut des pages de résultats de recherche Google
...dépourvue de tout artifice, peut générer des taux de clics de cinq à dix
fois supérieurs au standard du marché" ;
Attendu que,
comme il a été dit plus haut, la mention "liens commerciaux" sous laquelle
sont regroupés les sites litigieux, est trompeuse en elle-même parce qu’elle
laisse entendre que le site, affiché en partie gauche de l’écran, entretient
des rapports commerciaux avec ceux qui apparaissent sous cette rubrique et
qu’en l’espèce, le site de la demanderesse est en relation avec les sites
litigieux ; que cette présentation joue sur le double sens en cette matière
du terme "lien" ;
Attendu que les
sites regroupés sous l’expression "liens commerciaux" sont présentés par de
courts textes qui en révèlent le contenu dans une formulation ramassée ;
leur caractère publicitaire est manifeste ;
Que Google dans
son offre de service, propose d’ailleurs à ses clients de rédiger leurs
"annonces" ; que figurent ainsi, le plus souvent en langue anglaise, des
messages tels que "LV quality specials every week Wholesale" ou "Fine
Replica Handbags & Accessoires inspired by LV..." ;
Attendu qu’il
s’agit là d’une communication de nature commerciale réalisée à titre onéreux
et destinée à promouvoir directement des produits offerts à la vente sur des
sites qui ont une activité commerciale ;
Attendu que ces
messages constituent en conséquence des textes de caractère publicitaire qui
rentrent dans le champ de l’article L 115-33 susvisé, comme d’ailleurs dans
celui de l’article L 121-1 ;
Attendu que,
pour ce qui concerne la prétention de Google selon laquelle ces messages
publicitaires ne sont pas de son fait, il y a lieu de relever que Google
agit comme titulaire d’un support publicitaire qui propose aux annonceurs
d’y faire figurer leurs annonces selon un placement payant, qu’elle
contrôle ;
Attendu que si
Google ne participe pas directement à la rédaction des messages
publicitaires, c’est elle qui les fait apparaître sous sa rubrique "liens
commerciaux" dont l’intitulé est particulièrement trompeur, et selon un
classement qui est fonction, notamment, du prix que l’annonceur est prêt à
lui verser ;
Attendu que la
responsabilité de Google dans la réalisation de la présentation trompeuse de
ces publicités et de leur diffusion est pleinement engagée ;
Sur les mesures réparatrices
Attendu qu’il
sera fait droit, dans les termes du dispositif ci-après, aux mesures
d’interdiction et de publication sollicitées ;
Attendu que,
pour apprécier l’importance du préjudice subi par la demanderesse, il y a
lieu de prendre en considération la notoriété non contestée des marques et
signes Vuitton et l’importance de son site internet dont elle souligne
qu’elle a investi des sommes élevées pour assurer une présentation soignée
et recherchée de son image ; que, par ailleurs, il n’est pas plus contesté
que "google.fr" est le moteur de recherche le plus utilisé par les
internautes francophones et précède de peu "Google.com" ;
Attendu que si
les "liens commerciaux" litigieux ont pu disparaître, ils ont été affichés
par Google pendant, à tout le moins, plus de six mois ;
Attendu qu’il
convient en conséquence de condamner les défenderesses à verser à la société
Louis Vuitton les sommes de 100 000 € en réparation des actes de contrefaçon
de marque et 100 000 € en réparation des actes de concurrence déloyale et
publicité trompeuse, outre 8000 € sur le fondement de l’article 700 du
ncpc ;
Attendu que
l’exécution provisoire accompagnera la mesure d’interdiction et les
condamnations financières précitées, à concurrence de 50% de leur montant ;
DECISION
Le tribunal, statuant en audience publique par jugement
contradictoire et en premier ressort ;
. Déclare la
société Louis Vuitton recevable à agir à l’encontre des faits commis à
partir du site Google.com ;
. Dit qu’en
proposant sur les sites placés sous leur contrôle, et notamment les sites
Google.com et Google.fr un service publicitaire permettant d’associer des
mots clés tels que "imitation, replica, fake, copies, knock-offs..." avec
les termes Louis Vuitton, Vuitton, LV, afin de placer les messages
publicitaires des annonceurs à même hauteur que le site "officiel"
www.vuitton.com en tête de résultat du moteur de recherche, les sociétés
Google Inc et Google France ont commis des actes de contrefaçon des marques
n°1 627 892, 1 540 178 et 1 515 212 au préjudice de la société Louis Vuitton,
titulaire de ces dernières ;
. Dit que, ce
faisant, elles ont également porté atteinte à la dénomination sociale Louis
Vuitton, à l’enseigne Louis Vuitton et au site internet www.vuitton.com et
ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société
Louis Vuitton ;
. Dit qu’en
faisant apparaître sous sa rubrique "liens commerciaux" des messages
publicitaires de sites qui non seulement sont sans relation commerciale avec
le site de la société Louis Vuitton, mais encore utilisent les signes
Vuitton pour promouvoir des produits qui "s’inspirent" de ceux de la société
Louis Vuitton, les sociétés Google Inc et Google France ont réalisé une
présentation de publicités de nature à induire en erreur les internautes sur
l’origine et les qualité substantielles des biens ainsi proposés ;
En conséquence,
. Interdit aux
sociétés Google Inc et Google France de faire usage sur leurs sites des
termes Louis Vuitton, Vuitton et du sigle LV dans "le générateur de mots
clés" du système Adwords, dans les cadre du service publicité premium
sponsorship, parmi les mots clés, les metatags ou sources des pages de leurs
sites, et ce sous astreinte de 8000 € par jour de retard passé un délai d’un
mois à compter de la signification de la présente décision ;
. Les condamne
à verser à la société Louis Vuitton les sommes de 100 000 € en préparation
des actes de contrefaçon de marques, 100 000 € en réparation des actes de
concurrence déloyale et de publicités trompeuses et 8000 € sur le fondement
des dispositions de l’article 700 du ncpc ;
. Ordonne
l’exécution provisoire de la mesure d’interdiction et des condamnations
financières dans la limite de 50% de leurs montants ;
. Autorise la
société demanderesse à faire publier le présent dispositif aux frais des
défenderesse dans la limite globale de 15 000 € dans quatre revues de son
choix et sur les sites "wwwLejournaldunet.com" pendant une durée ne
dépassant pas trois semaines ;
. Condamne les
sociétés défenderesses aux dépens.
Le tribunal : M. Girardet (vice président), Mmes Darbois
et Renard (vice présidentes)
Avocats : Me Patrice de Candé, Me Alexandra Neri